Nuit du 29 au 30 Novembre 2009

Publié le par Fabrice Mauro

 

 

J’ai relevé la tête, péniblement. Elle était lourde. Je portais un casque de métal. J’ai dégagé mon bras endolori pour m’essuyer le menton maculé de boue grasse et puante. J’ai froid, terriblement froid. Je ne sens aucun de mes membres, pourtant en les remuant, lentement je sens qu’aucun n’est cassé. Au prix d’efforts démesurés je parviens à me redresser ses les coudes. J’ouvres les yeux sur l’horreur, l’apocalypse. Une plaine, sans arbre, sans vie, sous un ciel bas sans soleil. Pas de buissons, pas d’herbe, juste une immense bourbier parsemé ci et là par des abysses creusées par des bombes. De la boue et cette odeur métallique faite de poudre et de sang. Des flocons de neige hésitent à rejoindre ce sol de haine. Par endroits, de la fumée, des cris de souffrance, des hurlements de douleur. Allongé ainsi je périrai bientôt. La position assise ne m’offre aucun réconfort. Je découvre mon équipement militaire, pantalon et grosse veste baigné de sang rouge et  de boue noire. Ça sent la pisse et la peur. Outre ce casque froid qui laisse le vent glacé s’engouffrer dans mon dos et mordre ma chair, j’ai un fusil d’assaut accroché à mon épaule, en bandoulière. Je me lève, transi, hébété. C’est la guerre ici. Quelle guerre ? Ma guerre ?

 

Immobile, j’entends des plaintes. J’avance sans savoir pourquoi. Je chute lourdement puis m’aperçois que j’ai buté sur un homme. Un homme sans tête, un bras ridiculement relevé avec un index pointé vers les cieux. De grosses mouches noires s’agglutinent sur ses plaies. C’est le fils de quelqu’un ? un père ? un mari ? un frère ? un ami ? De qui ? Qui es tu, toi à qui la mort n’a même pas laissé de visage ? Que faisais tu là ? Et moi ? Pourquoi je suis ici ?  

 

J’entends d’autres cris mais quand j’approche des geignards sanglants, ils se taisent, meurent instantanément et sur leurs lèvres se dessine le rictus d’un sourire. J’ai peur. Ils me font peur. De cadavres en gisants j’ai fait cent mètres ? Dix kilomètres ? Depuis combien d’heures suis-je là ? Pourquoi moi ? Je n’ai rien fait, je suis même gentil si je veux. Ils sont cent, mille, dix mille, cent mille, tous morts. Je pleure. De la morve s’écoule de mon nez. D’un revers de la manche je l’essuie et le sang macule mon visage. Cette odeur acre, inoubliable, inimitable, insupportable. Où sont les miens, ma maison, ma famille, ceux que j’aime et pour qui je suis quelqu’un parce que là, je ne suis rien ni personne ? Disparus ? Morts aussi ? Je courre comme un chien fou, de morts en corps, englué dans cette mélasse collante d’eau, de terre et de sang. Je chute et rechute. J’ai mal sans savoir où. Je hurle. Un son surpuissant de terreur et de haine qui résonne dans toute cette maudite plaine…

 

Quand je me suis réveillé…c’était pire.

 

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