Lire le prologue en avant première !

Nice - Décembre 2005

Je n’ai rien vu venir...Comment aurais-je pu, d’ailleurs, puisque les coups sont venus de derrière. Une douleur insupportable, comme une décharge électrique dans le dos dès le premier coup de l’objet ensanglanté que j’aperçois à quelques mètres de moi, là, et qui ressemble à un couteau de cuisine. J’ai lâché le caddie sur lequel j’étais appuyé, occupé à raconter des histoires destinées à faire patienter mon bébé installé à l’intérieur. Avant que j’aie pu me retourner, un deuxième coup, puis un troisième, puis une bousculade, des gens qui crient, d’autres qui hurlent. Et voilà comment on se retrouve un samedi après midi, dans la galerie commerciale d’un Carrefour de la banlieue de Nice, allongé avec du sang plein la bouche. Ma vue se brouille ; pourtant je vois une foule et des pompiers à moins que ce ne soit des agents de sécurité qui, de leur bras, empêchent le passage. Où est ma femme ? Où est le caddie avec mon bébé ?

La dernière chose dont je me souvienne c’est que ma femme m’a dit  « Attendez- moi là, j’en ai pour deux secondes », avant de s’engouffrer dans une boutique. Là, il y a deux mecs qui me parlent trop fort et de trop près, je ne comprends pas un mot de ce qu’ils me disent. C’est bête, ça a l’air important vu leurs visages empreints de gravité. Je viens de comprendre que dans la foule qui m’entoure, certaines personnes au bras levé sont en train de faire des photos avec leurs téléphones portables. Misère humaine ! Si je n’avais pas si mal et si ma vue était plus claire je vous botterais le train. Qu’est-ce que tu vas en faire de ces photos ? Les montrer à tes copains sur l’air de « regardez les mecs, le type qui s’est fait poignarder à Carrefour » ? Divin spectacle. Mais là, le type c’est moi, et plus ça va, moins ça va. Où sont ma femme et mon fils ? J’incline un peu la tête et je les aperçois enfin. Il y a un pompier contre eux qui les empêche de venir jusqu’à moi. Ça a l’air vraiment grave vu la panique et le visage d’horreur de ma femme. Flavio se marre. Il doit croire que c’est encore une pitrerie de son père pour le faire rire. Désolé mon amour mais, même si à tout juste deux ans tu ne peux pas tout comprendre, j’ai peur que tu doives te passer de moi pour très, très longtemps… Mes forces me quittent, j’ai peur et j’ai froid, la joue contre les grandes dalles de carrelage beige. Qu’ils arrêtent enfin de crier, c’est insupportable. Ça me panique de les entendre tous crier comme ça. Je vois les lèvres de mon amour qui articulent un Vincent qui ne parvient pas à me réchauffer à cause des larmes qui coulent sur ses joues. En les regardant si tristes et effarés et n’ayant plus aucun doute sur mon état, me vient en tête un air de Charles Aznavour. «Qui, prendra la relève, pour combler tes rêves, quand je ne serai plus ». Pourquoi moi ? Pourquoi ça ? Qu’est-ce qui m’arrive ? Qui m’a fait ça ? J’ai un goût métallique et aigre dans la bouche.

De l’autre coté du caddie et presque à ma hauteur, trois gaillards s’affairent pour maintenir au sol celui qui semble être mon agresseur et qui a l’air plus qu’agité.

C’est pas croyable ! Pas ça ! Sur son visage crispé, je devine l’esquisse d’un sourire qui me glace encore plus. Je vais fermer les yeux  un moment, je suis fatigué, juste un petit moment. Noir.

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